Evènements

Quand l’art contemporain dialogue avec une friche industrielle

CVdB, 14/09/21

Merhyl Levisse est un artiste engagé. Depuis 2011, son association, Balak, crée des expositions à Charleville-Mézières une ou deux fois par an, toujours dans des endroits qui ne sont pas dédiés à l’art par nature : appartement, gymnase, bibliothèque et même les célèbres toilettes publiques près de la place Ducale dans la cadre de la Nuit blanche. « Chaque fois, on repart d’une page blanche, explique-t-il. Nouvelle scénographie, nouveaux artistes… Uniquement des personnalités que j’apprécie ou dont le travail le touche. Le leitmotiv : la qualité. En fonction du lieu, on repense nos œuvres, voire on crée in situ.” Merhyl aime mélanger les styles et les disciplines, mais il faut que les œuvres se répondent. Que le travail soit pointu, professionnel. « Je veux déconstruire les clichés, aller vers le public. Les gens ne vont pas facilement au musée ni voir les expos. On constate que la gratuité des musées une fois par mois n’y amène pas ceux qui ne les fréquentent pas. Ça permet juste à ceux qui en ont l’habitude de revenir une fois de plus. Par contre, nous essayons  de réconcilier ce public avec l’art en composant des expos esthétiques, et les habituer à avoir une offre culturelle qui leur est dédiée.” La prochaine exposition de Balak s’organise déjà, en collaboration avec le Campus Sup Ardennes, elle sera dédiée aux artistes de la communauté LGBT. Cycle de conférences, rencontres publiques, lieux de parole et délocalisations dans les musées sont en réflexion. Objectif : casser les clichés.

Le grand atelier métamorphosé

Pour la 12e exposition de Balak, Merhyl Levisse frappe fort. Partenaire de FLaP et du Cabaret vert dans le cadre de l’événement Face B, il a investi, avec 5 autres artistes, le grand atelier de La Macérienne. Réponse enthousiaste du public : sur les quatre premiers jours, 7000 personnes avaient déjà vu l’expo. Un tiers des festivaliers du week-end Still alive sont passés par le grand atelier.

1500 m2 habités par 7 œuvres et 7 vidéos : juste waouw !

Le lieu est important pour le patrimoine carolomacérien et l’histoire industrielle de toute la France. Bâtiment industriel abandonné depuis 1984, il a été laissé dans son jus, excepté quelques aménagements pour la sécurité. Merhyl espère bien pouvoir revenir avec d’autres expositions une fois le lieu réellement réinvesti.

Un dialogue œuvres-lieu magique

Au premier regard, c’est l’œuvre d’Hassan Darsi, artiste marocain de Casa Blanca, qui vient à la rencontre du visiteur. Sur des bassins de 400 m2 ses pigments de poudre d’or profond créent une atmosphère troublante et féerique. « L’or profond est la dernière note dorée avant le cuivre, explique Merhyl, le ton varie au fil des heures, en fonction de la lumière et de ses reflets. Jeu d’ombres et de lumière. Et puis, les pigments bougent avec le vent, l’œuvre n’est jamais la même. Elle est au service du bâtiment et des autres œuvres.

Un artiste qui sera présent à l’Exposition universelle de Dubaï. Ou comment jeter des ponts entre Dubaï et Charleville…

Le regard est ensuite attiré par « Le porteur de l’esprit de la Baleine échouée » de Julie Faure-Brac. On ne sait trop si ce personnage en plâtre pliant sous le poids d’une baleine en papier –on la croirait en bois ou en pierre- est en suspension sur l’eau dorée ou s’il a pris ses appuis au fond du bassin. Troublant.

Les trois autres sculptures de Julie sont suspendues dans le vaste espace de cet ancien atelier où les ouvriers travaillaient à la chaîne. Ces « humanimaux » expriment tantôt l’harmonie, tantôt le conflit entre l’Homme et la Nature. Un univers en noir et blanc qui prend des reflets mordorés dans ses dialogues avec l’eau dorée.

Sur l’autre bassin, ce sont les harpes déstructurées de Balthazar Heisch qui captent l’œil. Ce jeune artiste interroge lui aussi les synergies tissées entre l’être humain et la nature. Ces instruments de musique recomposés font écho aux notes qui s’égrènent au fil des jours du festival réinventé sur le site.

L’œuvre de Jérémie Nicolas aussi résonne avec l’élément musical du lieu. Mais elle pourrait bien passer inaperçu si on ne tend pas l’oreille. Il s’agit d’une porte en acier qui raconte les silences de la Macérienne. Jérémie Nicolas a passé deux semaines sur le site avant l’installation du festival et en a capté les bruits et les silences. Il a créé des partitions qui envoient des vibrations sur la porte, imperceptibles. Toutes les 45 minutes, une des cinq partitions se met en route et tout le bâtiment résonne d’un son très industriel, proche de la musique électronique. Evocation du geste de l’ouvrier, lien entre l’hier et l’aujourd’hui.

Au fond de l’atelier trône l’œuvre de la doyenne, Tania Mouraud. « Je ne suis pas née pour me soumettre ». tel est son message. Encore faut-il réussir à le décrypter… Défi accessible, avec un peu de recherche et de volonté. Féministe engagée, elle a bien fait avancer la cause des femmes artistes.

Bluffants, les vitraux de Merhyl Levisse…   Sur les 296 vitres toujours entières des 29 fenêtres du grand atelier, Merhyl a imaginé 198 motifs, qu’il a reproduits sur une matière adhésive qui capte merveilleusement la lumière. En symbiose avec le décor extérieur au bâtiment, le vitrail se transforme dans son interaction avec l’arrière plan. Fascinant. Depuis deux ans, l’artiste a repris racine dans sa ville natale, Charleville-Mézières, mais il rayonne dans le monde entier avec ses expositions. Artiste multifacettes, il présente ses papiers peints, installations et performances, vidéos, costumes, aussi bien aux Etats-Unis, en Amérique du Sud, à Ouagadougou qu’à Rouen ou La Villette.

Tout au fond de l’atelier,  7 vidéos prêtées par les Frac Meca, Frac Paca et Frac Pays de la Loire. Des oeuvres en dialogue avec le bâtiment, en écho avec la friche industrielle, la révolution tant personnelle que politique ou humaine, la fin de vie et la renaissance… Comme ce site en train de s’inventer une nouvelle vie, de bien belle manière !

A voir sur le site de La Macérienne jusqu’au 26 septembre.

 

 

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